« Par le raccourci » (By the shortcut), est un film documentaire réalisé par Dady de Maximo Mwicira Mitali, rescapé du génocide.
Ce film est un des rares films sur le génocide des Tutsi réalisé par les victimes elles-mêmes. Par le raccourci, c’est l’évocation de ce discours de Léon Mugesera qui disait : « L’erreur fatale que nous avons commise en 1959 c’est que, nous les avons laissés sortir. Leur pays c’était en Éthiopie, mais nous allons leur chercher un raccourci, à savoir la rivière Nyabarongo. » Les assassins de 1994 réaliseront mot à mot ce discours. Ligotés, blessés ou tués, les Tutsi seront rejetés à la rivière et d’innombrables cadavres seront retrouvés dans le lac Victoria. Déjà en 1973, la mère de Daddy âgée de 14 ans avait été jetée à l’eau, mais contrairement aux autres membres de sa famille elle en réchappa. Renvoyer les Tutsi en Éthiopie par le plus court chemin, par cette rivière Nyabarongo, est la trame de ce film. Le récit des ces horreurs est lancinant et fascinant. On y découvre des actes d’héroïsme méconnus comme cette résistance organisée lors du massacre à l’ISAR Songa près de Butare par le karateka Tharcisse Sinzi.
Le film donne une idée du système judiciaire et pénitentiaire rwandais aujourd’hui. Les rescapés sont confrontés aux bourreaux. On voit ceux-ci avouer une partie de leur crime. On assiste même avec un certain malaise à des scènes de réconciliation. Mais l’assassinat d’un survivant vient briser cette vision idyllique.
La voix de Dady, le commentateur, est douce, si douce pour dire des choses horribles. Et repassent sans cesse les mêmes images de cadavres flottants sur la rivière. Mais le film va jusqu’au bout de leur route, jusqu’à ces pêcheurs du lac Victoria qui ont repêché les cadavres...
Le film comporte des imperfections techniques, il va être amélioré, mais plus qu’un film, c’est un témoignage.
Quelques commentaires
Jeanine Munyesheli-Barbé (Genève)
Je ne sais pas par où commencer pour vous parler du film que Daddy nous a présenté jeudi dernier à Fribourg et qui a été projeté hier à Ibuka. Je ne sais pas non plus comment vous parler du chic type qu’il est, de son élégance (il est styliste) extérieure et intérieure (il a le mot pour rire pour ne pas en pleurer).
J’aurais voulu que nous visionnions ce film ensemble, que vous rencontriez Daddy, que ma famille, dont une grande partie a péri dans les eaux de la Nyabarongo, soit là avec nous pour dire le caractère unique de ce document.
Je le dis sans exagérer, je n’ai vu aucun documentaire qui approche à ce point la réalité du vécu des rescapés tutsi de 59 à 94, et aussi, l’entêtante question que pose Daddy « mais où donc ont fini les Tutsi qui ont péri dans les cours d’eau du Rwanda ».
Je sais que toi Dady tu le sais, PERSONNE ne peut, ne pourra jamais "appréhender ton histoire". Certains, vont un peu s’approcher, d’autres en auront peur, et d’autres ne le pourront pas.
Et parfois j’ai envie de dire "TANT MIEUX POUR EUX", et pourtant au fond de moi, aussi ça me désespère.
Parce que le Rwanda, ce n’est pas "LÀ-BAS LOIN", c’est l’humanité, ou c’était. Des hommes et des femmes qui tuent leurs amis et voisins, que leur reste-t-il d’humanité ?
Alors finalement l’enjeu pour nous, Tutsi et rescapés en particulier, c’est de nous réhabiliter en tant qu’humain. Et nous n’y sommes pas ou SI PEU aidés !!
Cela passe par ce terrible voyage dans notre histoire qu’a entrepris si courageusement Dady... Un voyage qui l’a mené aussi à la rencontre de cet homme fantastique qui ne voulait même pas qu’on sache ce qu’il faisait pour que les restes des nôtres soient enterrés dignement. J’ai revu cette séquence 3 fois ce matin, j’ai scruté le visage de cette homme, de cette femme pêcheur, il y a toute la bonté de leur coeur qui ressort sur leur visage. C’est fascinant ça. Ça me fascine comme les visages en disent long sur le coeur.
Un voyage dans lequel, il est aussi parti à la rencontre de sa mère, où il a embarqué les rescapés de son team dans un voyage dont PERSONNE ne savait la destination, ni même s’il y en avait une. Alors quel sera le public de ce film ? Je n’en sais rien. Et l’histoire nous dira si ce "raccourci" ne parle qu’à nous, où s’il interpelle la conscience du monde.
Je n’ai pas de réponse à ça. Et tout ce que je souhaite c’est que le film, reflète ce que Daddy a voulu y mettre. Le reste, ce n’est pas que je m’en fous, mais ce n’est pas l’essentiel, c’est sûr.
Les questions, il en restera, je ne me fais aucun souci, après un génocide si le monde entier ne se pose pas des questions, et pas seulement le réalisateur d’un documentaire, eh bien c’est très grave.
Moi ce film, j’en garderai des exemplaires pour Louis mon fils, pour nos petits-enfants si un jour nous en avons. Pour maman qui a grandi près de Mwogo, ce ne sera JAMAIS un film mais un bout de sa vie. Pour moi qui a grandi au bord du lac Kivu,ce n’est pas un film non plus... Pour mes cousins sauvés par le courage de Sinzi, c’est un OUF de soulagement car cet homme est un héros vivant. Pour tant d’autres, ce film, n’est pas un film, et pour ça, j’ai une INFINIE reconnaissance vis à vis de Dady... infinie...
Marie-Odile Godard (Psychanalyste)
Dady est rescapé, il a tous les droits. Après tout, dans Gacaca, les tueurs n’hésitent pas à révéler le plus crument possible ce qu’ils ont fait, avec force détails. Et personne ne leur dit d’arrêter. Pourquoi un rescapé ne pourrait-il pas dire, montrer, détailler ce qu’il y a à l’intérieur de lui ?
L’image qui me vient c’est celle d’un gant que l’on retourne : le cuir est brut, authentique, vrai, c’est le cuir qui est en contact direct avec la main, avec la peau, celle des sensations. C’est ce cuir que Dady nous fait voir. Alors on se doit de regarder.
La forme de ce film est construite autour d’un cheminement le long de la Nyabarongo mais le terme de cheminement est un bien piètre mot pour décrire ces quelques 3 heures de flot d’images et de paroles. Images d’archives inédites, images de morts secs, de morts gonflés par l’eau du lac Victoria, image de victimes coupées voire découpées quasi scientifiquement, image de rescapés torturés par les mots qui ne veulent pas sortir pour décrire le viol, images de prisonniers repentants devant un rescapé pardonnant, images de génocidaires tranquilles qui, si c’était à refaire, ne changerait rien. Et en contre point un sage qui raconte tout depuis le début : Comment le chemin le plus court devait être emprunté par les Tutsi pour rejoindre leurs ancêtres d’Abyssinie. Il raconte l’Histoire du Rwanda.
Dady a décliné toutes les situations possibles autour de ce chemin vers l’Abyssinie. Chacune des images les plus terribles n’est jamais montrée une seule fois mais trois, quatre, cinq fois... Dady y revient comme reviennent les rêves traumatiques et les flash back. Il nous démontre que la violence est partout parce que la violence est active dans chaque rescapé. Il a décidé de dire tout ce qui était dicible et lorsque ça ne l’est pas par lui, comme ces situations impossibles où la victime pardonne à son bourreau tandis que ce dernier détaille tranquillement ses tueries, il met les acteurs en situation et c’est l’insoutenable de la situation qui nous saute violemment au visage, au ventre. Quand il n’a pas assez d’images, de mots pour décrire, il fait appel à la bande dessinée.
Même si au bout d’une heure, les spectateurs se sentent exténués et ravagés par ce qu’ils ont déjà vu, très peu se détournent et partent en cours de route. Serait-ce le devoir d’écouter la mémoire des rescapés ? Serait-ce une addiction à l’horreur, une fascination ? Dady se donne le droit de tout dévoiler, de tout exposer.
Si j’essayais d’énumérer avec des verbes d’action toutes les situations décrites ce serait : mentir, tuer bien sûr, découper, écraser, violer, déchiqueter, noyer, macheter, cogner, humilier, déshabiller... mais sans doute bien d’autres encore.
Tout est dit et montré : Les actes génocidaires qui continuent. Oh ! bien sûr ce n’est pas courant, mais régulier, surtout durant les mois de commémoration. Ces actes sont là pour dire : on est là, on continue et on terminera le travail. Ces actes concrétisent ce que les rescapés lorsqu’ils sont seuls à la croisée d’un chemin entendent de leur bourreau qui pourtant s’est repenti devant les Gacaca : « Un jour nous terminerons le travail ».
Tout est dit et montré : la révolte des rescapés et leur vengeance si peu courante. Et pourtant pour l’État, pour la société civile, tout se passe comme si cette rare vengeance pouvait remettre en cause tout l’édifice de reconstruction du pays. Arrêtons-nous un instant sur cet aspect des choses.
L’État rwandais tire sa force et sa légitimité de son action pour avoir stoppé le génocide des Tutsi. Si sa détermination à bannir l’ethnisme est flagrante, il n’en demeure pas moins que la base sociale de cet État, son assise est bien constituée de tous ceux qui ont eu à pâtir du génocide donc des rescapés et des Tutsi. Ceux-ci sont minoritaires comme ils l’étaient avant la guerre. Si on détaille les chiffres des actes génocidaires qui se sont perpétrés depuis le génocide, on s’aperçoit qu’ils sont pléthore durant les commémorations tandis que les actes de vengeance peuvent être comptés sur les doigts d’une main. Pour autant, chaque acte de vengeance est critiqué, punie et surtout caché par l’État qui semble penser que chacun d’eux met en péril l’équilibre précaire de la société rwandaise. Car la reconstruction incluant la réconciliation ne repose que sur les rescapés : c’est à eux qu’on demande de pardonner, d’accepter de vivre avec leurs bourreaux, d’accepter de vivre dans la solitude et la pauvreté après avoir tout perdu, d’accepter de vivre avec les images de la boucherie qui ont emporté les leurs.
Dady a choisi de dire cette vengeance là, vengeance des rescapés. Après nous avoir montré l’enfant tailladé, allongé sur le chemin, il filme l’auteur de cet acte qui jouit de son méfait. Ce dernier ne regrette rien et analyse même cet événement comme la suite logique de la fourberie des Tutsi. « Les Tutsi en se vengeant montrent la valeur qu’ils attribuent aux Hutu : 12 hutu pour 1 Tutsi. » Dans un retournement extraordinaire, ce génocidaire transforme la furie désespérée et aveugle de ces jeunes vengeurs en une preuve du dessein d’extermination des Hutu par les Tutsi. On voit là, la projection paranoïaque si souvent à l’oeuvre dans les cas de génocide. Un cas de vengeance pour une centaine de cas d’actes de génocide !
Ce film de 4 heures sera sans doute coupé. « Coupé » ? Les mots répètent le travail des génocidaires. Gant retourné, peau interne et bouillonnement de la violence interne du rescapé. Ces images ont à être vues par tous ceux qui tentent de négocier, de médiatiser, d’apaiser le monde interne des rescapés du génocide.
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(20 Euros + 1,35 Euros de port ) :