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Sometimes in April

L’histoire du génocide à travers le destin d’une famille
 Un film de Raoul Peck

Le film « Sometimes in April » retrace l’histoire du génocide à travers le destin d’une famille, deux frères, l’un rescapé, l’autre ayant diffusé des messages de haine sur la Radio-télévision des Mille Collines.

Il revient sur les trois mois de massacre, l’absence de réaction de la communauté internationale, mais aussi sur les procès du Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha.

Ci-dessous la présentation du film écrite par Noir Silence, sur Ciao.fr

Le réalisateur de « Sometimes In April » - Raoul Peck - avait une longueur d’avance et une crédibilité certaine, de part le fait qu’il ait réalisé en 2000 « Lumumba », une biographie cinématographique du charismatique leader indépendantiste congolais. C’était un gage de confiance.

Quatrième fiction « grand public » à budget conséquent portée au grand écran sur le Rwanda, Sometimes in April tarde à sortir en salle en France, alors même que le DVD version Europe (Zone 2) avec les sous-titres en 17 langues - dont le français - est déjà disponible outre Manche pour un prix dérisoire, agrémenté de quelques précieux bonus. Le film devait d’ailleurs être tourné en français, mais pour des raisons de coût le producteur HBO a opté pour l’anglais, une partie seulement des dialogues étant en kinyarwanda.

Talent et intégrité

A dire vrai ce film corrige la plupart des « défauts » des films évoqués dans les précédents avis. L’oeuvre cumule talent des acteurs, bande son explosive, neutralité historique, respect dû aux archives et aux personnages qu’il met en scène. Il n’omet pas de citer les bases essentielles de compréhension qui permettent à tout à chacun d’aborder le film sans nécessairement connaître en profondeur le sujet ou l’histoire du pays. Mais surtout, la fiction, filmée sur les lieux même des événements, la volonté de ne pas dénaturer les témoignages reçus et un respect évident de la dignité apportée aux victimes devraient donner au film tout le respect qu’il mérite.

Intégrité et talent

Le talent du réalisateur est indiscutable. Choix des angles de vue, mises en scène, chronologie des flash-back, le contrôle du film est total. On note de rares improvisations, comme par exemple lors de la scène de la libération des rescapés par les rebelles dans les marais, où les rwandais ont d’eux même reproduit une gestuelle que Raoul Peck n’aurait jamais soupçonnée. Ce sont des instants de liberté qui donnent une vie et un souffle à l’œuvre. Pour tout le reste le réalisateur ne craint pas d’aller dans le menu détail, comme de retrouver les véritables images du match de football diffusé en direct le soir de l’attentat du 6 avril 1994, de reconstituer avec exactitude l’évacuation des blancs de l’Ecole Francaise Saint-Exupery par les militaires belges et français, de respecter à la lettre les auditions du Tribunal Pénal International à Arusha, où par ailleurs il s’est rendu pour ses recherches.

1885-1960 (générique)

A l’arrivée au Rwanda, les acteurs étrangers ont été sublimés par la beauté du pays des milles collines, par son authenticité, sa virginité. Dès les premières minutes, la voix d’Idris Elba se pose paisiblement, calme et sereine sur ce panorama enchanteur.

Il est dit que lorsqu’Imana créa le Monde, le Rwanda lui plut tellement que chaque soir il revint s’y reposer.

Sur des images d’archives et l’extrait d’un film de 1950, est résumé très brièvement le partage de l’Afrique entre Européens, à l’insu du roi de la monarchie semi-féodale rwandaise. Puis on voit les colons scinder les rwandais en ethnies sur la base de critères physiques, ébranlant une organisation sociale en vérité plus complexe. En effet les rwandais partageaient la même culture, la même langue, la même religion ; ils formaient un même peuple et vivaient les uns parmi les autres. Le colon belge altéra cette organisation sociale, instaura le travail forcé et le fouet, envenimant la rancœur chez les Hutu et n’instruisant que l’élite Tutsi. Avant de renverser leur alliance au profit de la majorité Hutu lorsque les idées d’indépendance gagnèrent les Tutsi.

Dans les années 1959-1960, le dispositif coercitif de contrôle des populations est organisé par le colonel Logiest, qui fait du Rwanda un Etat d’exception permanent (...) cf. Gabriel Périès, in « Des crimes contre l’humanité en république française 1990-2002 »).

Sur la restructuration de l’armée rwandaise par la France (1990-1993), je vous renvoie aux précédents avis.

Le film (1994 - 2004)

Ce qui tient le spectateur en haleine est le parcours d’un homme, Augustin (Idris Elba), qui bien que Hutu voit son nom figurer sur les listes des personnes à exterminer. Pour sauver sa femme Tutsi et ses enfants, il supplie son frère de les conduire à l’Hotel des Mille Collines, où ils seraient davantage en sécurité. Mais lors d’un contrôle à un barrage la situation s’envenime....

Je prends garde de ne pas vous conter tout le film.

Le bénéfice de cette projection est que l’approche historique est placée au devant de la fiction sentimentale. Les archives sonores des médias français, belges, américains (radio et TV) s’intercalent entre deux scènes, pour replacer le contexte, apporter un éclairage ou au contraire une vision décalée des événements, sans jamais nuire à la cohérence cinématographique.

Le film dure 2h20. C’est à peine suffisant pour une première approche de nombreuses questions, de la naissance de l’Etat post-colonial à l’histoire du génocide sans éluder la problématique ô combien essentielle de la justice, que ce soit celle du Tribunal Pénal International, des tribunaux de première instance ou des gacacas (les tribunaux populaires).

La musique est sublime. On la doit à l’orchestre philharmonique de Prague sous la direction de Laurent Petitgirard, et à l’orchestre symphonique bulgare, sans oublier une chanson de Chantal Ayissi qui s’intitule « Contre l’oubli ». Entre autres.

Concernant la neutralité historique et le non parti pris dont le réalisateur se protège, citons seulement deux éléments. Ceux qui tirent les missiles qui ont abattu l’avion transportant le président du Rwanda Habyarimana sont filmés de dos. On ne peut distinguer s’il s’agit des rebelles, de l’armée rwandaise ou du mercenaire Paul Baril, ... De même Raoul Peck ne minimise en rien les quelques représailles et meurtres qu’ont commis certains rebelles après le génocide - en témoigne une scène à la fin du film - quand bien même c’est l’avancée de ceux-ci a permis de stopper le génocide.

Le sujet est universel. Malheureusement.

Raoul Peck ouvre les questions universelles du courage, de l’amour ou de la résistance. Lorsque la femme d’un milicien cache trois rescapés pendant que son mari est parti « travailler »), lorsque l’on doit faire le choix entre macheter son voisin ou se faire abattre, Sometimes In April nous renvoie face à nous même, à nos propres choix face à l’extrême.

Raoul Peck n’a pas voulu faire un film sur le passé, mais un film pour l’avenir. Il montre que le génocide des Tutsi du Rwanda n’a rien à voir avec une haine ethnique ancestrale. Il s’agit d’une histoire politique et moderne, qu’il décrit comme la soif de pouvoir d’un clan extrémiste, largement armé par la France. « Grâce à nos amis français, nous avons des kalachnikovs en provenance d’Albanie. Des Uzis israéliens. Des grenades tchèques. Des fusils M-16 américains. Des armes et des munitions égyptiennes. (...) Des machettes de Chine » : ainsi nous assistons à une livraison d’armes des militaires français à l’armée rwandaise, sous leurs yeux. Il décortique nombre de mécanismes démontrant la planification du génocide (formation des milices civiles, commande de machettes, de radios et de piles (la radio branchée RTLM relayait la propagande génocidaire, etc.)

Bien sûr, beaucoup de choses ne sont pas dites. Raoul Peck qui a attaché beaucoup de rigueur à la réalisation de ce film n’a évidemment pas la prétention de tout savoir. On ne dit pas en 2h20 ce que Claude Lanzmann peut dire en 9h30 (durée du film ’Shoah’).

Le film est pour lui un Commencement : pour en parler, pour ouvrir le débat, pour inciter le spectateur à poursuivre dans cette voie, et lire.


A ce propos, je vous conseille (entre autres) :

 De nouveaux documents inédits des archives françaises http://cec.rwanda.free.fr/documents/officiel/index.htm

 Les Conclusions provisoires des travaux de la Commission d’enquête citoyenne sur le rôle de la France durant le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 : http://cec.rwanda.free.fr/documents/Conclusions_provisoires_CEC2.htm

 et si vous avez plus de temps : le rapport complet de la CEC, pour la vérité sur l’implication française dans le génocide (600 pages - 4,5 Mo) : http://cec.rwanda.free.fr/documents/Publications/cec_rapport.pdf

Qui a dit ?
« Les miliciens font la guerre. Par souci de neutralité, nous n’avons pas à intervenir. Sinon, demain, s’il y a des infiltrations de rebelles, on nous fera porter le chapeau ».
 Colonel jacques Rosier (fr), commandant du secteur sud de l’opération Turquoise, cité par Libération du 27 juin 1994.

Sans que le spectateur lambda ne puisse comprendre exactement de quoi il s’agit, est reconstitué vers la fin du film l’évacuation du gouvernement génocidaire par les militaires français (une information citée par Képi Blanc - oct. 1994 - et reprise par le Figaro).

Et parce que le soutien de notre cher pays à des dictateurs sanguinaires d’Afrique et que le choix du pire n’est en rien révolu, personne en 2006 ne peut dire qu’il ne sait pas. La presse n’a pas oublié de rappeler que l’Etat français fournit renseignement, armement, instruction, moyens de trucage électoral au régime Tchadien d’Idriss Déby, dont on peut dire qu’il est un « assassin invétéré », qu’il entretient « soigneusement sa réputation de tueur, par des carnages réguliers », qu’il pratique « pillage de l’Etat, la mise à sac des populations "adverses" (celles du Sud surtout) et leur "terrorisation" » (cf . jugement de la Cour d’appel de Paris, 3 juillet 2002).

Il en va de la responsabilité de chaque citoyen de ne pas être indifférent à la mise à sac d’un pays et de l’assujettissement de son peuple. Et bien que le contexte soit différent, les justification du ministère français de la Défense sont mot pour mot les mêmes que ceux prononcés par les politiques pour justifier les positions françaises au Rwanda en 1994.


Sometimes in April
Un film de Raoul Peck
Genre : Drame, Guerre
Durée : 2h20
Pays : USA, France, Rwanda

Avec :
 Idris Elba
 Debra Winger
 Oris Erhuero
 Noah Emmerich
 Fraser James
 Carole Karemera
 Abby Mikiibi Nkaaga
 Pamela Nomvete
 Michelle Rugema

Sometimes in April a décroché à l’unanimité le prix du meilleur film, et celui du public au festival international de Durban 2005. Il a également été nominé au festival international de Berlin, aux Emmy Awards, Image Awards, Satellite Awards et Television Critics Association Awards...

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